Interview de Francis de Chaignon, prêtre du diocèse de Paris et docteur en théologie, nous introduit à cet événement de la vie de Jésus qui nous ouvre l’accès auprès du Père. par Alexia Vidot (La Vie) à propos de son livre « Le mystère de l’Ascension » Parole et Silence »

L’Ascension de Jésus concerne chacun d’entre nous. La foi nous fait participer à ce mystère où Il s’élève et revient vers son Père pour mieux nous faire participer à cette communion profonde et entraîner avec nous la Création entière.

Parmi les événements de la vie de Jésus, son ascension retient moins l’attention que sa mort et sa résurrection. Elle est pourtant « le couronnement des mystères du Christ », écrivez-vous. En quoi ?

Elle l’est au sens où elle vient achever une période qui est celle des apparitions du Christ Ressuscité, c’est ainsi que saint Luc nous la présente dans son Évangile et dans les Actes des Apôtres. Elle clôt cette période intermédiaire durant laquelle Jésus est encore avec ses disciples, Se donne à voir et à toucher, avant de disparaître à leur regard tout en étant présent par son Esprit.
L’Ascension ouvre ainsi au temps de l’Église et c’est en cela qu’elle est charnière. La mort et la Résurrection du Christ sont bien le sommet de l’année liturgique, mais il faut aller jusqu’à l’Ascension et la Pentecôte pour avoir la totalité de la source du salut. Nous avons à nous réapproprier cette unité du mystère pascal et la totalité du temps de Pâques. Car c’est durant ces 50 jours que nous voyons se déployer la nouvelle manière selon laquelle le Christ se rend présent à ses disciples. Et donc à nous aussi.

L’aspect « visible » de l’événement est-il important ?

Les récits de l’Ascension insistent en effet sur le caractère sensible de ce qu’il se passe. Dans les Actes des Apôtres par exemple, le Christ s’élève « sous leurs regards », « une nuée le dérobe à leurs yeux », ils ont « les yeux fixés au ciel pendant qu’il s’en allait ». Et les deux hommes vêtus de blancs les interpellent sur cette attitude : « Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? »
Les apôtres n’ont pas vu la Résurrection. En revanche, ils ont vu le Christ ressuscité qui s’est rendu visible à eux pendant 40 jours. Lors de l’Ascension, c’est l’inverse qui se produit : ils voient le Christ s’élever, mais ils ne le voient pas dans la gloire. C’est le don de l’Esprit saint qui va intérioriser en eux la présence glorieuse du Christ. Les apôtres sont ainsi non seulement les dépositaires des paroles du Christ, mais aussi les témoins de cette expérience de vision et de non-vision que l’on peut rapprocher de celle des disciples d’Emmaüs. C’est l’ouverture d’un regard de foi alors même que dans le régime de l’Église, le Christ n’est plus visible

En quoi l’Ascension n’est-elle pas un beau concept théologique à contempler, mais un mystère qui nous concerne, personnellement ?

On dit souvent que la Résurrection est le mystère de la foi, la Pentecôte, celui de la charité et l’Ascension, celui de l’espérance. L’espérance à laquelle nous ouvre l’Ascension est la possibilité, réelle, d’être élevé en Dieu. Oui, en étant glorifié dans son humanité, le Christ a rétabli la communication entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes. Il nous a ouvert l’accès au paradis, à un Ciel nouveau.
Son exaltation a rendu possible l’ascension de l’homme à sa suite, sa transformation totale.
Les textes liturgiques de la fête sont ainsi centrés sur cette plénitude à laquelle nous sommes appelés : être un jour là où le Christ a précédé les membres de son Corps, c’est-à-dire auprès du Père, et y vivre déjà d’une certaine manière. L’oraison du jour le formule ainsi : « Dieu, qui élèves le Christ au-dessus de tout, ouvre-nous à la joie et à l’action de grâce, car l’Ascension de ton Fils est déjà notre victoire : nous sommes les membres de son Corps, il nous a précédés dans la gloire auprès de toi, et c’est là que nous vivons en espérance. »

Comment vivre déjà là où nous espérons Le rejoindre ?

En entrant avec le Christ dans un nouveau mode de pensée et d’existence. « Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu » (Colossiens 3, 1), insiste saint Paul. Il s’agit d’élever son cœur, de le fixer là où se trouve le Christ et de se laisser entraîner par Lui dans sa dynamique ascensionnelle.
« Mets en nos cœurs un grand désir d’être unis au Christ en qui notre nature humaine est déjà auprès de Toi », prions-nous à la messe, après la communion.

Ce n’est pas l’homme seulement, mais la création entière que le Christ entraîne dans ce mouvement ?

C’est en effet tout le monde visible qui est entraîné dans ce chemin de gloire des enfants de Dieu. Par le Fils monté au ciel et dans l’Esprit sanctificateur, le cosmos est ramené à sa source qui est le Père, le Principe de tout. Saint Paul évoque ce mystère de la volonté de Dieu : « Pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre » (Éphésiens 1, 11). Cette dimension cosmique du salut est importante et elle acquiert aujourd’hui un nouvel intérêt avec les questions écologiques.

« On compte sur nous dans le ciel »

« Notre Seigneur Jésus-Christ est monté au ciel en ce jour : que notre cœur y monte avec Lui. Écoutons l’apôtre : “Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dit-il, cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut et non les choses de la terre” (Colossiens 3, 1-2). De même qu’il est monté au ciel sans nous quitter, ainsi l’y accompagnons-nous avant même que se réalisent les promesses faites à notre corps. (…) Il semble nous crier : “Soyez mes membres, si vous voulez monter ici.” Pour y arriver, déployons donc toute notre vigueur, aspirons-y de tous nos vœux. Songeons sur la terre qu’on compte sur nous dans le ciel. C’est alors que nous dépouillerons cette chair mortelle, dépouillons le vieil homme dès aujourd’hui. Le corps s’élèvera facilement au plus haut des cieux, pourvu que l’esprit ne soit pas accablé sous le fardeau de ses iniquités. »
Saint Augustin (sermon 263) : Sermon pour le jour de l’Ascension