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Le témoignage du Père Norbert a été présenté le vendredi 25 mars 2022 dans le cadre des conférences de Carême sur le thème du pardon.

Oser le pardon

Je suis né dans une pièce lointaine de notre « maison commune », pour reprendre l’expression du Pape François. Cette pièce s’appelle le Congo. Il s’est appelé Congo belge, Zaïre, et aujourd’hui République Démocratique du Congo (RDC). Je peux dire aussi « Rez-de-chaussée » comme faisait Dominique Strauss-Kahn, lorsqu’il était président du FMI, Fond Monétaire International. Strauss-Kahn listait les pays d’Afrique surendettés, et n’ incluait pas la RDC. En effet, ses richesses terrestres et souterraines immenses lui permettaient d’échapper au surendettement. Mais il restait au rez-de-chaussée de la vie économique, ne gravissait pas les degrés qui lui permettraient de devenir une grande puissance.

Le Congo, un pays d'immenses richesses souterraines et terrestres

Au Congo on trouve en effet de l’or, du diamant, de l’uranium, de l’aluminium, du coltan ¹ (un minéral utilisé pour fabriquer des condensateurs, des composants que l’on retrouve dans nos téléphones mobiles ² ). La principale ressource terrestre est le bois. Des entreprises chinoises déboisent le Congo sans reboiser. C’est un pillage continu.
Toutes ces richesses attirent les multinationales, qui  « bombardent » le Congo à leur manière. Toutes les grandes fondations (ONG) sont basées au Congo : fondation Bill Clinton, fondation Bill Gates, fondation Tony Blair, fondation Kofi Annan, entreprise
pétrolière TOTAL, RFI (Radio France Internationale, TV24, Human Rights Watch… et l’ONU, qui au Congo s’appelle plus précisément la MONUSCO (Mission de l’ONU au Congo). Je me pose la question sur la présence massive de ces Fondations et ONG :
entretiennent-elles le chaos au Congo ou œuvrent-elles réellement pour la paix ? Tenez ! En vingt ans, l’ONU a envoyé 20000 casques bleus pour créer les conditions d’une paix au Congo Démocratique. Mais cette paix ne vient jamais.

Les multinationales utilisent plusieurs armes de « bombardement » :

-les chars de combat, les missiles, les armes à feu pour l’agression, la guerre ou la guérilla. A chaque fois, la presse internationale présente ces guerres comme des « guerres tribales ». En réalité les multinationales fournissent à une ethnie des armes pour qu’elle entre en guerre contre une autre et la multinationale se sert au passage dans l’exploitation des minerais congolais. Je tiens à souligner à l’opinion nationale et internationale qu’il n’y a pas d’usine d’armement au Congo. En outre, le Congo est sous
embargo international, il ne peut pas se procurer d’armes. Par contre les pays voisins : Ouganda, Rwanda, Burundi, Kenya en ont le droit.

  • les viols. En 2018, le prix Nobel de la paix a été décerné au docteur Denis Mukwege, gynécologue-obstétricien congolais, qui consacre son activité à « réparer les femmes » victimes de viols. Par « femmes », je cite les petites filles, les jeunes filles, les mères et les grands-mères. Le viol sème la terreur et la souffrance parmi les populations. Beaucoup de violeurs inoculent aussi le virus du Sida, dont de très jeunes filles se retrouvent porteuses.
  • le déplacement des populations. Certaines multinationales, aidées par les politiques et les politiciens locaux, forcent des populations très pauvres à partir de leur région natale, pour exploiter leur sol et sous-sol tranquillement. Les autochtones sont remplacés par des populations plus dociles, migrantes, venues d’on se sait où. Ainsi il y a peu, on entendait parler de migrants bloqués en Libye. Ils ont été amenés au Congo. Certaines populations autochtones sont purement massacrées : l’ONU a retrouvé des charniers, avec des corps d’individus de tous âges, le rapport mapping de l’ONU en témoigne ³ .
  • la trahison des pays voisins. Sur les neuf pays voisins du Congo, trois sont utilisés par les multinationales pour agresser et exploiter le Congo : l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Ainsi il faut savoir qu’il n’existe pas de gisement de coltan au Rwanda. Pourtant c’est au Rwanda qu’est implantée la plus grosse usine de raffinement du coltan. C’est aussi en Ouganda qu’est raffiné notre pétrole, amené là par les pipe-lines des usines Total.
  • ajouter la manipulation des politiques et politiciens autochtones. Pour comprendre cette pratique, plusieurs partis politiques ont des partenaires étrangers qui tirent des ficelles dans le fonctionnement de la politique interne de la République Démocratique du Congo. Certains pays voisins aidés par beaucoup de multinationales organisent des incursions, des attaques et agressions de mon pays. Les rebelles qui ont attaqué notre presbytère étaient de la troupe AFDL d’origine Ougando-Rwandaise.

Si ces multinationales sont si agressives, si la volonté de pillage est si forte, c’est parce que les enjeux économiques sont énormes.
En raison de ses richesses souterraines, la République Démocratique du Congo a en effet été impliquée dans les grandes révolutions économiques mondiales. Au XXe et XXIe siècles, je relève trois moments importants dans l’histoire économique et sociale de mon pays, la République Démocratique du Congo. Trois contextes :

  • La révolution de l’automobile, sous le roi belge Léopold II (1885-1908) : les Congolais ont subi un esclavagisme inouï, travaillant comme des bêtes de somme dans  les plantations des hévéas afin de produire le caoutchouc servant à la fabrication des pneus.
  • La deuxième guerre mondiale (1940-1945) : le Congo a fourni l’uranium qui a servi à la fabrication de la guerre atomique, qui a causé des dégâts dans deux villes au Japon : Nagasaki et Hiroshima.
  • La révolution de l’informatique. Depuis 1997, le Congo Démocratique fournit les minerais rares pour la fabrication des appareils informatiques : coltan, lithium.

Ce sont le Congo Démocratique et sa population qui sont exploités, pillés et détruits. C’est inhumain et injuste, ce que cette partie de la planète vit. C’est le malheur dans tous les domaines de la vie du Congolais.

Voici en quoi ma vie a rejoint les grands malheurs de mon pays.

J’ai été ordonné prêtre le 1 er Août 1990, à Kinshasa, la capitale de la RDC. Peu après j’ai été envoyé en mission à OPALA, province du Haut-Zaïre (actuellement province Orientale) dont la ville métropole est KISANGANI. Nous étions quatre prêtres au presbytère.

En 1999, à Pâques, je suis allé dans un village très écarté, accessible par de mauvaises routes dans la grande forêt équatoriale. A mon retour, en fin d’après-midi, je vois des militaires devant le presbytère, des militaires des groupes « rebelles AFDL ». Ils étaient une vingtaine. Ils me demandent la clé de mon véhicule(4×4). Je la leur remets. Ils me demandent ensuite des francs belges. Je leur réponds que je n’en ai pas. Ils insistent : et la quête ? Je leur rappelle qu’ici les paroissiens donnent en nature : un régime de bananes, du manioc, des fruits de la forêt, du poisson… Ils me demandent alors des cigares. Je leur réponds que je ne fume pas. Ils me demandent de leur donner à manger.
Je les emmène au lieu que nous appelons « la cantine » : une pièce qui nous sert de garde-manger (et non pas de réfectoire). J’ouvre la porte, ils se précipitent dedans, tous les vingt. Et se jettent sur nos denrées fraîches, et sur nos boîtes de conserve.
J’ai bien en tête les recommandations des supérieurs de notre congrégation, à Rome : « si jamais les rebelles viennent vous menacer, sauvez vos vies, fuyez. »
Je m’enfuis à toutes jambes dans la forêt. Ils me pourchassent en tirant des coups de feu. Je rampe comme un serpent pour éviter d’être atteint par une balle. Le plus loin possible. Je m’enfonce dans la forêt équatoriale. Cette forêt luxuriante est pleine de dangers : serpents et araignées venimeuses, bêtes sauvages. Je les ai vues de près. Je marche et parfois je dors. Je n’ai pas faim. Je me nourris des fruits que je trouve sur mon chemin. Je vivote. Je n’ai en poche que mon chapelet. Il faut marcher vers une grande ville, qui n’a pas été prise par les rebelles, Kisangani la métropole. Pour cela, je me repère au soleil : il se lève à l’est et se couche à l’ouest. Je marche plus ou moins dans la bonne direction. Il y a parfois des rivières à traverser. Comment faire pour ne pas risquer d’être emporté ? Je trouve de gros morceaux de bois sec, qui peuvent flotter, et je me laisse dériver jusque l’autre rive.
Après un mois – je ne saurai que plus tard que c’est le temps que j’ai passé dans la forêt -, j’atteins la ville de Kisangani. Là je demande le HCR, Haut-Commissariat aux Réfugiés. J’avais déjà rencontré le chef de cet organisme à l’occasion de sa visite à Opala. Il m’a obtenu une place dans un avion pour Nairobi (capitale du Kenya) puis pour Kinshasa, la capitale de mon pays. J’ai été vite pris en charge et hospitalisé : j’avais des amibes, qui causent une infection grave des voies intestinales. Je suis resté deux ans à Kinshasa pour être soigné. J’ai appris plus tard que deux de mes confrères prêtres avaient comme moi fui dans la forêt, et survécu. Mais le quatrième y a laissé la vie à cause de la malaria (palu) très mal soignée.
A ma sortie de la longue période de convalescence, les responsables de ma congrégation cherchaient un prêtre africain parlant au moins deux langues internationales, pour être envoyé à Lourdes, en France. Je parle l’anglais et le français, et j’ai accepté la mission, avec l’idée de rentrer plus tard au pays. Cependant l’évêque de Lourdes, Mgr Perrier, a souhaité me garder trois ans pour l’apostolat auprès des jeunes. En septembre 2006, mon supérieur hiérarchique m’a demandé de suivre une formation en théologie pratique, à l’Université Catholique de Lille. J’ai ainsi été affecté au parvis St Maurice, puis à Mons-en-Barœul, puis à Wambrechies. C’est ainsi que je suis parmi vous aujourd’hui.

Devant cette agression d’un presbytère par des mercenaires, on peut se demander quelle est la position de l’Église au Congo. Il est vrai que pendant des décennies, elle a connu une domination coloniale. C’est ce qui nous a valu, à nous les prêtres, d’être les cibles des rebelles. Mais depuis les années 70, l’Église s’était libérée de ces influences. Elle est devenue autonome. Elle a sauvé le pays de plusieurs dérives politiques et économiques.

Concernant les particularités liturgiques, nos célébrations se caractérisent par le rite congolais de la messe, où l’on joue du tam-tam (qu’en France on appelle djembé). Nous avons un missel romain pour les diocèses du Congo Démocratique.
L’Église est très dynamique. Les vocations sont nombreuses, et les séminaires trop petits pour les accueillir, comme les fonds sont insuffisants. Il faut savoir que l’Église forme les cadres du pays, dans les écoles et universités catholiques. Malheureusement,
beaucoup de politiques oublient le message évangélique, une fois parvenus au pouvoir.
La politique au Congo se résume à trois mots :

  • Corruption
  • Instabilité
  • Manipulation


Le pays est corrompu de manière générale. Mais je me pose la question : qui en est le corrupteur ? Le corrupteur est le manipulateur qui convoite les minerais de la République Démocratique du Congo.
L’instabilité politique est chronique depuis 1960. Jamais les Congolais n’ont été dirigés par un président élu. Les dictateurs ont toujours réprimé des tentatives de coup d’État, et ont toujours été soutenus par les grandes puissances et les multinationales.
La classe politique est manipulée par le courant des « partis politiques partenaires étrangers », à titre d’exemple, le parti socialiste congolais est lié au parti socialiste belge.
Aucun parti n’a jamais respecté les résultats des élections.
Cela entraîne des désastres économiques, des frustrations et blocages du pays en son bon fonctionnement.

L'économie et les efforts de réforme

Les mots qui conviennent le mieux pour caractériser notre économie, en ce moment où je me tiens devant vous sont Détruire, Saccager et Piller (DSP).
Comme je vous l’ai dit plus haut, au XXe siècle, le Congo a participé à plusieurs grandes révolutions économiques mondiales.
D’abord celle de la production de voitures. Une très grande partie du caoutchouc utilisé pour fabriquer les pneus de voitures venait des hévéas du Congo. En 1939, les familles exploitantes des plantations d’hévéas devaient remettre une certaine quantité au roi des Belges, Léopold III. Quand cette quantité n’était pas atteinte, on venait couper la main droite du chef de famille jugé « paresseux ». 8000 hommes ont eu la main coupée.
Puis la technologie nucléaire. En 1945, l’uranium des bombes atomiques qui ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki venait du Congo belge. Cette exploitation était là aussi imposée aux Congolais, au péril de leurs vies.
Actuellement, ce sont le coltan et le lithium, qui permettent de fabriquer les téléphones et ordinateurs portables, ainsi que les batteries de voitures électriques.
Le président actuel a tenté de négocier un commerce juste de ces matières premières avec les multinationales. Tous ses efforts ont échoué : l’exploitation sauvage et clandestine est plus rentable aux multinationales.

Oser le pardon

Pour en venir au pardon, il est d’abord et avant tout l’œuvre de Dieu et il invite chacun et librement à adhérer à ce projet divin. Comme ministre de PARDON, je fais un effort pour y adhérer. Avec ma petite expérience, je vous avoue que le « pardon » ce n’est pas facile, mais c’est possible. Il faut vous dire que le pardon demande du temps et de la justice. Oui, j’adhère au pardon avec la grâce de Dieu.
Moi-même, je remets à Jésus-Christ ce que j’ai commencé. A chaque fois que je récite le Notre-Père, j’y pense. Je n’ai pas d’animosité quand je rencontre les ressortissants des pays voisins : Rwandais, des Ougandais, Burundais, d’autant que ce sont des hommes et des femmes créés par Dieu et par surcroît ce sont souvent des religieux, religieuses comme moi. Nous avons des relations cordiales. Ils ne sont pas responsables des crimes de leurs dirigeants.
Au Congo, le problème de la réparation perdure avec l’exploitation des minerais.
Je vous remercie.

Post scriptum: Cette prise de parole a été suivie d’applaudissements pleins de respect, de la part des paroissiens.
L’un d’eux s’est avancé et a dit : « En t’écoutant Norbert, je me rends compte de la responsabilité que nous, les Occidentaux, nous portons dans le pillage et les malheurs de ton pays. Moi-même je suis d’une famille belge. Au nom des Occidentaux, Norbert, je te demande pardon. »

¹ Le mot coltan, moins connu, est une abréviation pour colombite-tantalite. On extrait deux matériaux de ce minerai : le tantale, et le niobium. C’est le tantale qui est surtout prisé quand on extrait du coltan. Ce métal a une très grande résistance à la corrosion.

² Les crimes liés à l’extraction du coltan sont terrifiants : https://ici.radio-canada.ca/info/2019/05/coltan-republique-democratique-congo-mines-enfants/

³ Le 1er octobre 2010, le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l’homme publie un « rapport mapping », qui cartographie les crimes les plus graves commis en République démocratique du Congo entre 1993 et 2003. Il recense 617 crimes et crimes de guerre, commis par des armées et des groupes armés.